En souvenir d’un grand scientifique: le Professeur Philippe Crine, inventeur de l’Asfotase Alpha, une première dans le traitement de l’hypophosphatasie congénitale

Nous vous invitons à lire l’article In Memoriam, au sujet du professeur Philippe Crine un biochimiste qui a mis au point un traitement pour l’hypophosphatasie.

Professor Philippe Crine: a hero for children with hypophosphatasia 

Michel Chrétien, Trang Hoang, Michel Bouvier, Mieczyslaw Marcinkiewicz, Michael Whyte, Cheryl Rockman-Greenberg

Journal of Bone and Mineral Research, zjae061, https://doi.org/10.1093/jbmr/zjae061

Published: 16 April 2024

Le 13 juin 2023, le Québec, le Canada et le monde scientifique international perdaient un grand biochimiste, pionnier et visionnaire : le professeur Philippe Crine, qui a inventé un médicament nommé Asfotase Alpha, et qui est le premier remède efficace contre l’hypophosphatasie (HPP) congénitale, une maladie infantile débilitante et parfois mortelle.  Ses recherches ont sauvé la vie de nombreux enfants, ce dont il était extrêmement fier. La communauté scientifique se souviendra de lui comme d’un inventeur et bâtisseur, mais aussi d’un mentor inspirant et d’un exemple pour la relève.

 «Dr Philippe Crine a ré-écrit l’histoire de l’HPP, d’une tragédie il en a fait une histoire d’espoir et de vie….Nous lui sommes éternellement reconnaissants pour son génie et sa générosité de cœur»,

a dit Mme Barbara Fowler, Présidente de la Fondation américaine Soft Bones, dans un hommage envoyé à la Famille Crine. Force est d’accepter l’idée que le Dr Crine lui-même n’est pas éternel, un cancer fulgurant l’ayant emporté en quelques semaines.

Un début de carrière exemplaire : découverte majeure sur la biosynthèse des endorphines

Philippe Crine arrive au Québec de sa Belgique natale en 1968 pour entreprendre un doctorat à l’Université de Montréal, sous la direction du Pr. Walter Verly, directeur du département de biochimie.  Il obtient son doctorat en 1974 et se déplace à l’Université Brandeis de Boston pour approfondir son expertise sur les enzymes de réparation de l’ADN. En 1976, sa curiosité scientifique est attisée par la découverte des endorphines dont un chapitre s’écrivait dans le laboratoire du Dr. Michel Chrétien à l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM). Avec une pointe d’humour, Philippe avoue au Dr Chrétien que sa décision de « descendre en bas de la montagne » (l’IRCM se trouvant au centre ville, alors que le département de biochimie se situe géographiquement en haut, sur le campus de l’Université de Montréal) a été confortée par une citation de la revue Science intitulée « Researchers High on Endogenous Opiates ».   Philippe est bien servi puisque le Dr. Chrétien lui attribue le projet de démontrer comment la béta-endorphine est fabriquée à partir de la ProOpioMélanoCortine (POMC), sa prohormone présumée.  Philippe Crine est le premier à prouver la biosynthèse intracellulaire de la béta-endorphine.  C’est une première mondiale, laquelle est suivie d’une série rapide de publications qui constituent le point d’envol de la biosynthèse de toutes les neurohormones du cerveau dont les facteurs hypothalamiques découverts par le Pr Roger Guillemin, lauréat du Prix Nobel de Médecine en 1977 qui est un ancien Doctorant de l’Université de Montréal sous la direction du Pr Hans Selye.

 

Une grande carrière de recherche et de mentorat à l’Université de Montréal

Après cette « endorphinisation » bien réussie de 3 ans à l’IRCM qui résulte en 20 publications, Philippe « remonte sur la montagne» vers l’Université de Montréal pour y poursuivre une glorieuse carrière de chercheur dans le domaine des enzymes de maturation des neurohormones et de professeur qui le mène à la direction du Département de biochimie et au vice-décanat de la Faculté de médecine. Sous sa gouverne de 1989 à 1997, le département de biochimie prend un essor considérable grâce au recrutement de nouveaux chercheurs et au développement d’un nouvel axe de recherche en biologie structurale. Durant cette période, le département double les subventions obtenues par ses professeurs. (https://biochimie.umontreal.ca/departement/historique/).

Un mentor hors-pair

Dans son hommage posthume, la Faculté de Médecine cite une ancienne doctorante du Pr Crine qui « se souvient avec émotion qu’il accueillait toujours les étudiants lui amenant les résultats d’expériences avec son grand sourire emblématique tout en étant typiquement un peu désarçonnant, vous poussant plus loin et vous lançant plus de défis si vous sembliez trop confiant mais vous soutenant et vous encourageant de son enthousiasme communicatif si l’expérience était décevante ». Si le public se souvient d’un autre Belge, Jacques Brel, comme le Grand Jacques, la communauté scientifique se souviendra de Philippe Crine comme le Grand Philippe qui accueillait toujours ses étudiants avec son grand sourire contagieux et ses précieux conseils. Ce qu’un autre doctorant retient de Philippe, c’est un être humain empathique ainsi qu’un chercheur qui allie de façon remarquable ses idées novatrices avec une très grande rigueur scientifique et une évaluation implacable de l’efficacité de la méthodologie choisie. Ce sont là sans doute les ingrédients du succès de sa découverte de l’Asfotase Alpha.

Une découverte qui change des vies

Deux décennies après son intégration au département, il invente ainsi une thérapie révolutionnaire pour le traitement d’une maladie rare, l’HPP congénitale qui est causée par des mutations d’une phosphatase alcaline. Les patients atteints d’HPP ont des os peu minéralisés qui se fracturent facilement, causant des handicaps sévères et dans ses formes les plus graves, l’HPP peut même être mortelle.

Le potentiel de cette percée thérapeutique l’incite en 1997 à créer, avec deux collègues, le biochimiste Guy Boileau et le chimiste Denis Gravel, une compagnie de biotechnologie (BioMep), qui est initialement hébergée au département de biochimie de l’Université de Montréal. Ici encore, le Pr Crine est un pionnier. La création de compagnies dérivées de travaux de recherche universitaires faisait face à des vents contraires à cette époque.  Grâce à la persistance et l’inventivité de Philippe en tant que président et ensuite directeur scientifique de BioMep, cette compagnie devenue Enobia par la suite, met au point une forme soluble de la phosphatase alcaline et développe une formulation qui cible spécifiquement l’enzyme à l’os. C’est ainsi qu’est inventée à Montréal en 2006 l’Asfotase Alpha, le premier médicament qui guérit dramatiquement les enfants atteints d’HPP et leur permet d’avoir une vie normale comme les enfants de leur âge.  En 2011, Alexion acquiert Enobia pour plus de 700M$, un des grands succès de la biotechnologie Montréalaise. Ce médicament est maintenant commercialisé sous le nom de Strensiq par la compagnie Astra Zeneca pour des ventes de plus de $1 milliard par année.

Le professeur Crine partageait de touchants vidéos dans lesquels on voyait des bébés mourant sous respirateurs qui, après traitement, respiraient et se développaient normalement ; d’autres enfants se déplaçant en fauteuil roulant qui, une fois traités, commençaient à marcher avec des béquilles, puis avec une canne et, finalement, s’amusaient agilement dans des manèges. C’est une apothéose rarement atteinte en recherche biomédicale. L’Association ¨Soft Bones¨ (https://softbonescanada.ca/ et https://softbones.org/ ) a rendu un vibrant hommage au Pr Crine.

« Amy raconte comment Strensiq lui a sauvé la vie. Il y a deux ans, elle voulait mourir. Elle a commencé une thérapie il y a environ un an et dit aujourd’hui que sa vie a changé pour toujours ».

Sa sœur jumelle est également reconnaissante : dans ses mots, le Dr. Crine ne sera pas oublié : « Je lui serai éternellement reconnaissant pour son cadeau à nous tous. Ces histoires que nous racontions au Dr Crine lui amenaient toujours des larmes aux yeux. C’était un être humain tellement doux et compatissant. Il nous disait : Ces histoires me font avancer et me donnent envie d’en faire plus. Vous êtes mes véritables héros et une source d’inspiration incroyable dans mon travail et ma vie ».

Un désir de soutenir la relève

« Un mois avant son décès, Philippe insiste pour prononcer le discours d’ouverture d’un colloque organisé par Effervescence Montréal, pour les jeunes chercheurs qui souhaitent créer leur propre compagnie… Même son cancer ne pouvait l’arrêter. Sa joie de vivre était phénoménale. » (Annie Mear, https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7082391428198215680/ ). Encore actif jusqu’à récemment, Philippe était un consultant fort prisé pour des jeunes pousses pharmaceutiques en quête de thérapeutiques innovantes.

La communauté scientifique se souviendra de Philippe comme d’un professeur inspirant qui inculquait aux étudiants le souci de l’excellence, la soif des connaissances et le réflexe de l’innovation. En plus d’une riche carrière académique à l’Université de Montréal, il aura été un pionnier sur le plan scientifique et bio-pharmaceutique en inventant un médicament miracle qui guérit une maladie débilitante et parfois mortelle. Il est le modèle du professeur qui a eu un impact majeur sur l’enseignement et la recherche universitaires en mettant ses expertises et ses talents scientifiques au service de la médecine et de la société.

 

Il fut un héros pour des centaines d’enfants guéris de l’HPP et est une inspiration pour les chercheurs de la relève.

 

Michel Bouvier, Ph.D., Professeur Département de Biochimie et Médecine Moléculaire, IRIC

Trang Hoang, Ph.D. Professeure Département de Pharmacologie et Physiologie, IRIC

Michel Chrétien, M.D. Professeur émérite de recherche, IRCM

Université de Montréal